I've been waiting for you... {* Aaron

« Veuillez attacher vos ceintures, l'avion va atterrir. »

Bien sagement, je boucle ma ceinture et je range mon magazine dans mon sac à main.
Mon voisin attache lui aussi sa ceinture, avant de regarder de l'autre côté et de se curer le nez, en imaginant que je ne sais pas ce qu'il fait. Dégoûtant. J’aurais peut-être du accepter la proposition de mon père qui était de me faire voyager en première classe… Mais je lui aurais donné une raison pour la moindre faveur. À défaut d’être là, il a toujours su nous occuper de ses corvées. Ça c’est du père... Qualité Mathiews.

Mais, je crois que j’aurais vraiment fait tache parmis tous ces petits bourges, lunettes de soleil retroussées sur le nez, et moi dans mon short en jean made in California et mon débardeur Rock. Devoir supporter leur regard hautain plus d’une demi-heure… Ça non ! Je préfère encore avoir un voisin au nez plein ! Même s'il est dégueulasse, c'est toujours ça de pris plutôt que les regards des gens.

L’avion entame sa descente vers le terre ferme, et plus nous nous approchons du sol, plus je pense que j’aurais peut-être dut mettre un pantalon. Loin d’être frileuse, bien au contraire, je me suis dit qu’un short ferais l‘affaire, et que ce que se tuait à répéter ma mère n’avait pas d’importance. Je crois qu’une fois à Maynooth je devrais réviser mon jugement… ou m’acheter un pull. Va pour le pull.

J’étouffe un bâillement sonore en plaquant ma main sur ma bouche, le voyage avait été long, ayant fait la fête la veille, je n’avais pas vraiment dormi, préférant dire au revoir à mes amis comme il se doit plutôt que d’emmagasiner les heures de sommeil qu’il me faudrait pour tenir jusqu’à ma chambre universitaire. Heureusement j'avais un truc imparable contre la gueule de bois : plonger dans la mer. Etant donné que je partais à 10 heures, la mer, on oublie. Du coup, une fois n'est pas coutume, c'est vers la piscine que je me dirige... Puis, douche écossaise - alternance froid, chaud -, shampoing, masque capillaire, gommage, masque, manucure, crème pour le corps, crème pour le visage, et attente de neuf heures. Puis, maquillage, avant de vérifier que tout est dans mes valises, et de prendre mes accessoires de dernière minute : préservatifs cachés dans un vieux jeu de société, paquet de cigarette planqué sous la table de la maison de poupée, briquet que Dave O'Hearn a oublié à la maison, quatre magazines féminins, Grosses Patounes, l'ours en peluche, et enfin, le plus important : trois paquets de chewing-gums à la chlorophyle. .

Avec ça, au moins, je suis blindée face aux imprévus... Dommage qu'on n'ait pas le droit de transporter d'alcool.
Je fixe le plafond dans l’attente que le voyant vert s’illumine pour me laisser appuyer sur le bouton de ma ceinture et m’en aller enfin. En effet, cet avion commence à sentir la transpiration à plein nez. Décidemment je n’ai que ce mot à la bouche... Ce type m'aura vraiment traumatisée...

« Ding !»

Le voyant s’allume, et un déclic commun ce fait entendre. Les passagers commencent à réunir leurs affaires et se dirigent vers la sortie. J’en fais autant, je me rue presque vers l’escalier de l’avion après avoir entendu mon voisin me dire bonne chance pour le lycée. Je fais si gamine que ça ? Peut-être aurais-je du lui souhaiter la même réussite pour son départ en retraite. Mince, je commence à regretter, mais ma déception est de courte durée, je pose enfin un pied sur le sol de l’Irlande, mon sac dans une main, l'autre bien enfoncée dans la poche de mon mini short - que j'aurais du choisir un peu moins mini - la chair de poule sur chaque bras. Débandade totale à l'aéroport, les enfants courent dans tous les sens. J'ai décidément une sainte horreur des marmots. Horreur qui ne fait qu'empirer quand l'un d'eux me bouscule sans s'excuser. De nouveaux tremblements.

Le vent s’engouffre dans mes cheveux, et si je ne claquais pas déjà des dents j’aurais vraiment la classe avec ce short. Seulement je me mordille la lèvre inférieure afin de ne pas ressembler à un castor au bruit de mes dents qui s’entrechoquent. Si je n’étais pas aussi impatiente de découvrir l’endroit où je vais passer le plus clair de mon temps (en enlevant la boite de nuit la plus branchée du coin) je pense que je me ruerais vers les boutiques hors de prix de l’aéroport pour m’acheter le gilet en cachemire que j’ai aperçu dans le magazine de l’avion. Prix exhorbitant, mais ma carte de crédit va être rechargée très souvent et très abondament par Pôpa. Merci, très cher. Comme quoi, j'aime bien qu'il bosse.
Je balaye la salle du regard, certes moins grand que celui de Californie, l’aéroport de Maynooth est tout de même bien vaste ! Je souffle un grand coup et me dirige vers l’endroit où tous les passagers ont l’air cons : Celui où l’on récupère ses bagages ! J’essaie de repérer en toute discrétion mes deux valises oranges. J’entends encore la voix de ma mère dans ma tête « Pourquoi cette couleur, tu ne pourrais pas prendre du noir comme ta sœur ? ». Déjà, je ne prendrais pas comme ma sœur, et puis, parmi toutes les valises noires, les seules qu’on voit, c’est les miennes. J’en aperçois une, et le sourire aux lèvres, je m’en vais d’un pas gracieux - enfin j'espère - pour la chercher. La seconde ne met pas longtemps à pointer le bout de son nez, et je me félicite pour ce choix judicieux de couleur tout en imaginant ma chère sœur en train d’embarquer la valise noire de quelqu’un d’autre.. Mouahahaha. J'ai le droit de rire ?
Je dégaine mon portable et compose le numéro d'Aaron. Oui, je le connais par coeur. Quoi ? C'est bon, c'est en toute amitié ! Je connais quatre numéros par coeur... Celui de mon père, celui d'Aaron, celui de la maison, et le mien. Ben pas dûr, à force de l'appeler du portable de ma soeur (ne lui dites pas, mais je lui pique son portable pour appeler les gens et lui bouffer son crédit... Vive la famille. J'aimerais pas m'avoir comme soeur. Cela dit, elle l'a bien mérité. Ça lui fera les pieds.).
Tonalité.. Tonalité... Tonalité...

« Votre correspondant est injoignable pour le moment. Veuillez laisser un message après le bip sonore. »

« Salut, Aaron. C'est moi. C'est pour te dire que je suis arrivée à l'aéroport, et que si tu pouvais venir me chercher, ça serait cool... Ah, et, si tu pouvais te dépêcher... Je me les caille ! À de suite. »

En espérant qu'il vienne vite, je m'assois sur un banc. Seule. Et je regarde les pigeons. J'en rirais presque tant mon spectacle me paraît pathétique. Si je me voyais, j'aurais pitié. On dirait une clodo. Du moins cette position me réchauffe quelque peu. Car en plus, il caille, mais y a du vent !
Aaron... Depêcheuh-toi... Allez, compte à rebours : 17, 16, 15, 14, 13, 12, 11, 10...
Oui, je fais toujours ce genre de trucs. Les comptes à rebours, c'est marant à faire. Tenez, je me dis : dans trente sept secondes, il se passe un truc. Je m'immobilise, je commence à compter, et à la trente septième seconde, il se passe forcément quelque chose. Magie ? Non, observation naturelle.
Aaron, grouille-toi, j'ai froid.
Déjà dix minutes... Et mes valises oranges qui détonnent dans ces couleurs mornes et automnales. La mode est au noir, et au gris. Du orange... Clair que ça pète. Serait-ce la silhouette d'Aaron, là-bas ? Ah non. Un inconnu à la même démarche, faut croire.

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